Ma recherche se situe dans le domaine de la sociolinguistique. J’étudie les questions sociales liées à la revitalisation des langues en danger, plus spécifiquement des langues postvernaculaires, c’est-à-dire des langues qui n’ont pas vocation à revenir à une fonction de conversation usuelle. Ma thèse porte sur deux cas d’études, une langue amérindienne de la côte atlantique du Nicaragua : le rama, et une langue de la région Rhône-Alpes : le francoprovençal. Par une approche ethnographique de ces deux terrains, j’analyse les discours et les pratiques relatives aux projets de revitalisation portés par des acteurs de terrain (membres de la communauté ou membre des associations de patoisants) et par les autorités socio-politiques impliquées : l’Etat Nicaraguayen, le Gouvernement Territorial rama, le système d’éducation Régional d’un côté, et la Région Rhône-Alpes de l’autre.
Ce travail de recherche adopte dans un premier temps un cadre de réflexion sur ce qu’est le phénomène de la revitalisation avec la perspective de fournir aux acteurs de la revitalisation des outils pour comprendre les situations dans lesquelles ils sont impliqués .Ce positionnement considère également que la revitalisation n’est pas seulement l’expression de revendications linguistiques mais est un phénomène social plus ample d’expression conscientisée ou non d’autres revendications, essentiellement sociales, autour d’enjeux d’identité collective, de place dans la hiérarchie sociale, de rôle dans l’économie, de pouvoir.
Mon analyse étudie les contextes idéologiques auxquels se réfèrent les discours et les actions et tente de démontrer en quoi les modèles proposés pour répondre à la crise de la « perte de la transmission » de ces langues ne sont pas adaptés aux situations sociolinguistiques de ces langues. J’utilise l’outil conceptuel qu’est la catégorisation par la postvernacularité pour changer l’angle de vue habituellement utilisé lorsqu’il s’agit de raisonner en termes de langue et d’enseignement des langues. Le caractère postvernaculaire par excellence est celui qui attribue à la langue une fonction symbolique sémiotique plus importante que la fonction sémantique, c’est-à-dire que le fait que quelque chose soit dit dans la langue en question est plus important que ce qui est effectivement dit. Je défends le point de vue que la non prise en compte de ce caractère dans la mise en place des actions de revitalisation entraine des situations de mise en échec des projets.
Ce que montre cette thèse, c’est que non seulement la revitalisation linguistique n’est pas simplement (ou pas prioritairement) une affaire de langue mais que, même privée de fonctions communicatives, la langue peut être investie de sens, de sens nouveaux, et de sens concurrents. Elle peut tout autant faire l’objet de discours d’autorité, dans des sociétés qui sont aux marges de la production culturelle dominante. Ce constat nous amène, à partir de deux contextes que tout oppose apparemment mais qui présentent en fait certaines similarités, à nous questionner sur la fonction du langage dans une ère souvent décrite comme un moment d’homogénéisation et de perte de diversité culturelle.
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